Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Entre Rambouillet et Versailles
8 octobre 2009

J. Th. Winnerl, chronométrier

Je découvris Winnerl en faisant des recherches sur mes ancêtres Vaucanu, une famille de boutiquiers-rentiers dont il avait épousé une fille. Je fus fasciné par le côté globe-trotter et international de ce personnage. En effet, Winnerl naquit en Autriche, pays de tradition horlogère et mourut en Seine-et-Oise, après avoir travaillé au Danemark et à Paris. Il avait voué sa vie à la technique, à de tout petits machins métalliques de rouages et pignons qui s’emboîtent, tournent et balancent à l‘intérieur de minuscules boitiers. Il fut l'un des meilleurs horlogers d'Europe. Passionnant.

winnerlWinnerl voit le jour le 25 janvier 1799 dans le petit village de Müreck, duché de Steyermark, au sud de l'Autriche actuelle, non loin de la Slovénie. Un pays de montagnes, de forêts et vignobles. Dans les années 1808-1810 cette famille part à Marburg, Hesse, au centre de l’Allemagne. En 1823, Joseph séjourne à Breslau (Prusse, actuelle Wroclaw en Pologne, sur le fleuve Oder), et étudie l’horlogerie. Puis nous le retrouvons à Altona, près de Hambourg, duché de Holstein, au nord de l’Allemagne. Là, il reçoit l’enseignement de l’horloger H. J. Kessels. Que de mouvements. Que de déplacements. C’était déjà l’Europe de la culture.

Ensuite, il va à Copenhague, non loin du Holstein. Il y complète sa formation auprès d’Urban Jürgensen qui dirige un établissement de montres et horloges et exerce les fonctions de conseiller de l’Etat en matière d’horlogerie. En 1805 il avait publié une brochure sur quelques nouveautés, en particulier des montres, une pendule astronomique, une montre marine et un thermomètre métallique portatif. En 1822, il avait écrit un mémoire sur un thermomètre métallique à minimum.

On raconte que quinze jours après l’entrée de Winnerl, Jürgensen lui dit : « Vous m’avez trompé. » Winnerl fit un mouvement d’interrogation. « Oui, vous m’avez trompé, répéta Jürgensen, je vous ai demandé si vous étiez habile, et vous m’avez seulement répondu que vous espériez vous tirer d’affaire, et dans ces quinze jours vous m’avez fait plus de bon travail qu’aucun de mes ouvriers. Désormais vous êtes attaché à mon cabinet. »

Avec Jürgensen, Winnerl fait des plans, calcule, expérimente. Il rédige en mars 1829 un article dans Astronomische Nachrichten, une revue d’Altona où Kessels écrivait. Winnerl décrit en allemand « un thermomètre métallique ayant la propriété d’indiquer les températures maximales et minimales ». Il était dans la ligne des travaux de Jürgensen. L’éditeur fit son éloge : « C’est le thermomètre le plus parfait que je connaisse (...) Messieurs Kessels et Jürgensen ont un élève digne d’eux. »

Puis Winnerl part à Paris rejoindre un des plus grands horlogers de l'époque, Louis Antoine Breguet (1776-1858). Notre Autrichien s’établit dans la capitale, peut-être le 2 juillet 1829. Il se lie avec Julien Hilaire Rodanet (1810-1884), futur chronométrier.

Vers 1829-1830 il remporte un premier prix à un concours. On le signale vers 1832 passage Laurette (actuelle rue Bara) : ce nouveau quartier près du boulevard Montparnasse le rapproche des ateliers Breguet.

En 1831, il imagine un système de compteur à secondes : l’aiguille pouvait être arrêtée et ensuite revenir au point ou elle aurait du se trouver si on l’avait laissé marcher. Le mécanisme prenait toutefois un peu de place. Plus tard, il développera ce système.

Il fonde ensuite son propre établissement. Un horloger de grande réputation lui ayant soumis une invention, lui demandant de la réaliser, Winnerl passe la nuit à son établi et apporta le lendemain la solution du problème en laiton et en acier. L’horloger l’invite à dîner et, dans sa serviette, Winnerl trouve trois billets de mille francs.

Nous n’avons pas de précision sur cette invention, mais elle se confond peut-être avec l’histoire suivante. Le baron Séguier avait fait à la Société d’Encouragement un rapport sur l’échappement à force constante de M. Vérité. Frappé de ce qu’il avait d’ingénieux, il pensa qu’on pouvait en modifier certains points. Cette idée, communiquée à Winnerl, fut réalisée par lui avant l’exposition de 1839 et fit sensation.

chronomEn 1835 Winnerl reçoit la médaille d’or du jury de la Société d’Encouragement.

On le félicite sur sa construction « d’excellents chronomètres et en très grand nombre à moitié prix de leur valeur ordinaire. » Il est le premier à manufacturer les chronomètres en France.

Mais l'industrie n'a pas les mêmes règles que la recherche ou l'art pour l'art ! Winnerl doit parfois livrer des chronomètres de qualité courante dans les organes les moins importants. En cela, il suit l’exemple anglais, plus industriel.

En 1836 à Saint-Germain-en-Laye, il épouse Adèle-Célestine Vaucanu. La dot assure l’existence de son atelier. C'est un soulagement. Il demeure 20, rue des Ecuries d’Artois, dans l’actuel 8e arrondissement, un quartier récent. Il choisit comme témoins François Nicolas Gontier, employé, et Jean Louis Brodeur, fabricant d’instruments de musique.

En 1837, nouvelle médaille (?) de la Société d’Encouragement. Cette année, il embauche un jeune ouvrier qui deviendra l’un de ses meilleurs élèves : Simon Vissière, quinze ans. Il restera trois ans chez Winnerl.

Le 31 juillet l’Académie des Sciences examine son thermométographe métallique. Il a déjà réalisé deux exemplaires : l’un pour le cabinet de Longitudes du Danemark à Altona, l’autre pour l’Observatoire de Berlin, sur la demande du baron de Humbolt.

Le 13 octobre Winnerl demande à être admis à établir son domicile en France. Dans une lettre il déclare l’avoir « déjà depuis longtemps adopté comme patrie. […] Les arts et l’industrie y sont si bien appréciés et particulièrement l’art et la profession que je cultive ». Cette demande est indispensable pour bénéficier des droits civils. Plus tard, il demande sa naturalisation.

En 1838, le préfet écrit : « il a beaucoup d’ouvrage et a fait avec beaucoup d’exactitude le service de la Garde Nationale. » En 1839, le préfet parle de sa fabrique d’horlogerie de marine passage de Laurette. Ce rapport pose un problème : Winnerl avait-il conservé ses ateliers passage de Laurette, pendant que sa demeure avait été transférée rue des Ecuries d’Artois ? Son domicile fut-il ensuite de nouveau transféré passage de Laurette ? On sait qu’il y occupa un temps une maison entière. C’était commode, ses instruments étant tout près, à l’Observatoire, pour expériences.

Cette même année 1839, il a une fille, Emélie. En 1853 et 1855 ses beaux-frères le choisissent comme témoin dans leurs actes d'Etat-Civil, signe qu'ils étaient fiers de sa notoriété et que Winnerl n'avait aucune raison de leur refuser ce geste d'amitié.

Winnerl crée un autre compteur en 1840. Il possède deux aiguilles de secondes que l’on peut arrêter l’une après l’autre en poussant le bouton, pour lire avec plus de facilité le nombre des secondes et de fractions de secondes écoulées entre le début et la fin d’une observation ; elles demeurent arrêtées en conservant leur différence jusqu’à ce qu’une troisième pression les ramène à la position qu’elles auraient occupé si elles n’avaient pas cessé de marcher.

En 1840, une ordonnance le naturalise enfin. Plusieurs personnalités de marque l'appuient : le préfet de la Seine, le baron Séguier... Le ministre du Commerce le dit très habile, jouissant de l’estime générale. Pour le baron Thenard, président du jury de l’Exposition des produits de l’industrie « il est heureux pour notre industrie que M. Winnerl soit venu fonder un établissement en France. »

Winnerl se spécialise. Il fabrique dans son atelier des chronomètres ou horloges marines. Il emploie un grand nombre d’ouvriers.

chronom2Les différentes parties du chronomètre sont :

1.  Le régulateur : un mobile animé de mouvements d’égale durée. Il s’agit d’un balancier oscillant sous l’influence d’un ressort appelé spiral. 

2.  L’échappement ou organe de transmission des mouvements du régulateur au compteur.

3.  Le rouage indiquant l’heure. 

4.  Le moteur contrebalançant l’influence des frottements et des résistances.

Ces chronomètres servaient à faire le point en mer, à calculer les coordonnées d’un point. On savait depuis longtemps calculer la latitude, distance nord/sud par rapport à l'équateur et au pôle mais le calcul de la longitude (situation est/ouest par rapport au méridien d’origine) était beaucoup plus complexe. Ce calcul se basait sur la différence entre l’heure de Paris et l’heure du lieu dont on voulait avoir la longitude. Cette dernière n’était que la moyenne des heures indiquées par plusieurs chronomètres.

Les chronomètres de marine devenaient si utiles qu'il devenait indispensable de connaître exactement leur degré d’imprécision. En effet il y avait toujours des variations, même de la part des meilleurs chronomètres. La marche des instruments pouvait être entravée par les huiles des rouages, l’usure, l’humidité, la dilatation. Il fallait donc vérifier, tester, comparer. Par exemple, le n° 476 de Winnerl se trouva à l’Observatoire de Rochefort en 1878, puis testé sur « La Favorite » pendant cinq mois de l’hiver 1878 et quatre mois de l’été 1879, avant d’aller à l’Observatoire de Brest. En 1886 le chronomètre n°462 de Winnerl fut embarqué sur un navire qui connut de violentes secousses et il s'en trouva retardé de 1,4 secondes.

Les appareils se vendaient deux à quatre mille francs. Mais, de la part des constructeurs il s’agissait aussi d’un travail de recherche : comment rendre ces chronomètres isochrones, avec une durée de battement constante et indépendante ? Curieux métier qui tenait à la fois de la science, de l'artisanat et de l'industrie.

Depuis 1840, Winnerl est le meilleur constructeur : le nombre de ses instruments retenus en est la démonstration. Il reçoit, notamment pour ses n° 138 et 144, la prime exceptionnelle de mille francs. Il expose ses travaux dans quelques mémoires. En 1844, « Modification apportée à l’échappement a ancre pour les pendules », un mécanisme qui réduit le nombre d'organes et de frottements.

En 1844, il devient chevalier de la Légion d’Honneur et la Société d’Encouragement publie ses remarques sur les pendules à aiguilles dédoublantes et rattrapantes.

En 1847, i1 écrit « Réflexions sur les oscillations du pendule conique ». A l’occasion de la présentation d’une horloge à pendule conique par M. Foucault, il rapportait avoir vu à Breslau, en 1823, chez le directeur de l’Observatoire, un compteur construit à Munich par Utschneider dont l’appareil régulateur se rapprochait de celui de M. Foucault. En outre il présente ses réflexions sur les moyens d’assurer au pendule conique, qu’il considérait comme le régulateur naturel du mouvement continu, la propriété d’avoir des oscillations parfaitement isochrones. A ce dernier sujet, le mémoire rendait compte des expériences avec le savant Laugier. C’était, semble-t-il, la première vérification des idées exprimées jadis par P. Leroy et plus récemment par F. Berthoud. Ces savants avaient remarqué le rôle important d’une bonne suspension des ressorts dans l’isochronisme des pendules.

En 1850, Winnerl devient horloger de l’Observatoire et reçoit la rosette. Il est en rapports avec l’astronome F. Arago. Les deux hommes s’opposent. Arago a des opinions républicaines tandis que Winnerl se rallie aux modérés. Les caractères aussi divergent.

Winnerl s’installe à 10 m de l’Observatoire, n° 43 de la rue du même nom (actuel n° 57). Là, il accomplit nombre d'expériences. Plus tard, son collaborateur Y. Villarceau, astronome, lui loua pour 1 400 francs l'autre logement et s'y installa.

Ce logement, pourtant grand, ne lui convenait pas. Il voulut faire ajouter un étage. Arago s'y opposa : cela aurait gêné les observateurs. Winnerl lui en garda rigueur. Dans ce local, il collabora avec Laugier à l'étude des épaisseurs des lames de suspension du pendule.

Sur cette période, l’homme de lettres Rémy de Gourmont conte cette anecdote : « Tous les jours, en sortant de l'Observatoire où il demeurait, Arago entrait chez l'horloger Winnerl, qui était un homme aimable et considérable aussi. Flammarion, qui l'a connu, l'appelle le premier horloger de France. Cet horloger avait un grand respect pour l'astronomie et les astronomes. Ayant lui-même à faire de fréquentes sorties dans Paris pour surveiller les horloges de ses contemporains, il résolut sans rien dire de s'en fier à la sagacité de l'astronome, qui devait, semblait-il, avoir d'assez précises connaissances sur les probabilités atmosphériques. « Quand l'illustre Arago aura un parapluie, se dit-il donc, je prendrai aussi mon parapluie ; quand il n'en aura pas, c'est que le temps sera au beau fixe. » Mais il arriva qu'il ne pleuvait presque jamais lorsque Arago s'était muni de son parapluie, et qu'il pleuvait presque sûrement quand il l'avait dédaigné. Cela troubla le bon Winnerl qui s'en plaignit à l'astronome : « Au lieu de faire comme moi, faites donc le contraire, lui répondit Arago avec bonhomie, vous vous en trouverez peut-être bien. »

      

      

Paris, L'Observatoire

      

Observatoire      

      

      

      

      

      

      

      

La réputation de Winnerl n'était plus à faire : horloger de marine, président du comité d'Horlogerie de précision, premier président de la société des horlogers fondée en 1856. En 1855 il reçoit une des huit médailles d'or pour l'horlogerie à l'Exposition Universelle. La dignité d'officier de la Légion d'Honneur lui fut décernée pour « la parfaite exécution de ses chronomètres ».

      

Tableau bien rose... Certains restaient pourtant critiques, les Suisses, par exemple, peut-être un peu chauvins ou inquiets de la concurrence, qui firent un rapport explosif. Seuls leurs horlogers y trouvaient grâce. Les Français exécutaient bien, disaient-ils, mais sans innover : « Nous avons vu partout des appareils (...) que nous pourrions fabriquer (...) les chronomètres de Winnerl dont la réputation est assez grande, nous ont paru d'un travail inférieur a ceux de MM. Vissiére et Berthoud. M. Winnerl a aussi exposé, au-dessus de sa vitrine, une horloge dont le pendule nous a paru être d'une longueur bâtarde entre le pendule à demies secondes et celui a secondes. Un écriteau indique que cette pièce est destinée à faire des expériences sur les échappements libres à ressort, ce qui nous a paru fort singulier, le cadran ne portant pas de secondes... »

Cependant, en 1855 et 1856, sur 54 chronomètres testés, 19 des siens furent retenus.

En 1857, il lit à la société des horlogers, un mémoire sur les « Pendules de Précision ». Il y parle de l'échappement à ancre et déclare préférer l'échappement libre. Il y évoque l'amour du progrès, nécessaire pour mener des expériences qui ne font pas gagner d'argent. Un aveu de ses difficultés financières ?

En 1858, il met au point un compteur garde-observation. Celui-ci porte sur trois cadrans séparés pour les heures, les minutes et les secondes des aiguilles doubles, dont les unes peuvent être arrêtées, en pressant sur un bouton, pour indiquer exactement le point de départ de l’observation, pendant que les autres continuent de marcher, jusqu’à ce qu’une pression sur un second bouton les ait remit en marche pour indiquer le point final, en conservant le temps écoulé entre les deux observations, quelle qu’ait été sa durée, jusqu’a ce que les observations aient été notées. En retirant ce bouton, la juxtaposition des aiguilles se rétablit pour commencer une observation nouvelle.

Cette même année, Winnerl fait une communication sur l'échappement à double roue (Duplex) originaire d'Angleterre, mais mal appliqué sur le continent. Il en rappelle les principes et décrit l'application qu'il en fit aux montres à roue de rencontre.

A cette époque, Napoléon III gouverne. En 1859, Winnerl est présenté et élu comme conseiller municipal de Paris. Il le restera jusqu'à la fin de l'Empire. Probablement approuvait-il les grandes options de l'Empire tout en étant flatté.

Le 22 décembre 1863, sa fille épouse M. Noiret, commissionnaire en marchandises. Les témoins de la mariée se nomment Jean Heudelot, voisin, et Emile Vaucanu.

En 1864, le Dépôt des plans et cartes de la Marine lui décerne une prime pour un chronomètre. L'année suivante son épouse décède. En 1867, à l'Exposition Universelle, il n'expose pas, mais fait partie du comité parisien d'admission.

A la fin de cette année, il réalise la première pendule dite à interrupteur électrique, placée en janvier 1868 dans les caves de l'Observatoire. Cette pendule, dite conductrice, a deux fonctions :

1) unification de l'heure sidérale à l'intérieur de l'Observatoire ;

2) unification de l'heure moyenne dans la ville de Paris.

Cette pendule est enfermée dans une boîte en tôle de fer hermétiquement close, scellée contre un des murs de fondation de l'Observatoire, à 27 mètres sous le sol. Elle se trouve à température et à pression constantes. Après un essai, Winnerl et Wolf (astronome) maintinrent un degré d'humidité dans la boîte pour lubrifier les rouages. Ils utilisaient un échappement à ressort, semblable a celui de Thomas Reed. Mais P. Gabriel, ami de Winnerl, assurait que celui-ci n'avait pas eu connaissance des travaux de Reed. Quand plus tard il lut l'ouvrage de ce dernier, il renonça à publier sa découverte. Comme toujours, sa réussite résidait dans la simplicité du mécanisme. Wolf disait de la pendule que sa marche était si parfaite que les erreurs observées provenaient des observations et non de l'engin. Le mécanisme fut définitivement adopté pour les pendules-régulateurs. Son élève Auguste Fénon la reproduisit à l'Observatoire de Marseille.

Cette même année 1868 une expédition scientifique part en bateau pour l’Asie du Sud-Est. Elle emmène deux chronomètres de Winnerl dont le célèbre n°484 dont la fiabilité fut reconnue.

L’établissement de Winnerl se trouvait avenue de l'Opéra. Dans ce quartier chic, occupé par une population aisée, se trouvaient beaucoup d'horlogers. Sur les 1251 qui travaillaient à Paris, la majeure partie se situaient dans les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements.

Winnerl vendit en 1870 son affaire à Callier. Pourquoi vendait-il ? L'âge et la lassitude sans doute, mais aussi le désir de mener une existence plus discrète : l'Empire s'écroulait, remplacé pour une République. Sur le plan politique, Winnerl n'était plus en odeur de sainteté. Peut-être y avait-il des motifs financiers ? Avait-il fait faillite ? La conjoncture économique n'était pas bonne.

Sa retraite se déroula  quelques années encore dans sa maison avenue de l'Observatoire. Mais en 1873, il la quitta et la loua 1920 F. L'année suivante, elle fut mise en adjudication. Le baron Thenard, un ami, l'acheta 95 700 F. Voulait-il soutenir un compagnon dans la détresse ?

andr_syWinnerl va alors habiter à Andrésy, gros village de 970 habitants proche de Saint-Germain-en-Laye et de Conflans-Sainte-Honorine, dans une rue paysanne à deux pas de la Seine. A Andrésy on cultive alors les céréales, les pommes de terre, la vigne et il y a aussi de belles prairies. Située au bord de la Seine, animée par le trafic des bateaux et des remorqueurs, le village reçoit la visite de la belle société parisienne. Certains y possédaient une maison de villégiature.

Par contre, dans sa rue le voisinage de Winnerl est constitué de cultivateurs, journaliers, jardiniers, menuisiers, blanchisseurs et tailleurs de pierre. Il ne semble pas avoir acheté. Sans doute a-t-il quelques pièces chez les Descartes, des amis. Son existence semble modeste. Mais il est proche de la famille de sa défunte femme, originaire de Saint-Germain. Il vit avec une domestique alsacienne, Catherine Mesmer. Leur origine germanique les a-t-elles rapprochés ?

Malgré son âge, Winnerl continue ses travaux. En 1876, il présente un mémoire à l'Académie des Sciences. «Système de balancier compensateur, applicable aux montres marines et à toute montre de précision. »

Voici ce qu'en pensent les commissaires MM. Fizeau, Phillips et Breguet :

L'expérience a montré que le système compensateur généralement employé et composé essentiellement de lames bimétalliques de forme circulaire, ne donne pas une compensation rigoureuse des effets de la température.

Les pièces additionnelles qui ont été employées ne peuvent résoudre le problème que par hasard, et au prix d'un travail exagéré. L'auteur s'est proposé de produire la compensation à l'aide d'un balancier d'une exécution simple et facile à régler sans qu'il soit nécessaire de l'enlever.

Le système consiste :

1) dans l'emploi exclusif de lames bimétalliques planes ;

2) dans l'adaptation à ces lames de vis inclinées sur l'horizontale, d'un angle de 45 °, portant les masses compensatrices qui sont de simples écrous ;

3) dans le réglage aux températures par de petites modifications dans l'inclinaison de ces vis et par des écrous sur leur longueur ».

Ainsi, une meilleure compensation était obtenue, sans sacrifier l'isochronisme, grâce à un balancier d'une exécution et d'un réglage simples.

Il permettait de résoudre deux problèmes :

1) Obtenir l'égalité de marche diurne pour les deux températures extrêmes, zéro et 30 degrés, par exemple ;

2) Les marches à zéro et 30 degrés étant égales, produire l'égalité de marche a une température intermédiaire donnée.

Un ouvrage anglais écrit que la découverte n'en n'était pas une, puisque Frodsham avait réalisé un balancier semblable et que celui de Winnerl n'avait que les mécanismes combinés de Arnold et de Hartnup. S'agissait-il de découvertes parallèles ? Mais la construction n'était pas encore satisfaisante.

Winnerl soumet en 1882 un rapport au ministre de la Marine pour demander la révision du concours de l'Observatoire. Il est adopté et le nouveau règlement entre en application.

Winnerl meurt très âgé en 1886.

A sa dernière demeure, l'accompagnent des amis tels que Caspari, Bouilhet, Hannusse, Gabalba, P. Gabriel, C. Saunier.   

Gaspari, ingénieur hydrographe de la Marine, prononce un adieu « à l'artiste éminent ». Les louanges pleuvent : labeur et dévouement, amour de sa patrie adoptive, le premier des horlogers, fils de ses oeuvres, habile, consciencieux jusqu'à l'excès, il amena l'horlogerie française jusqu'au plus haut point, énergique, généreux, noble figure... Gaspari évoque ensuite « les dévouements que sût inspirer Winnerl ». Puis Saunier parla au nom des horlogers : « C'est à Winnerl et Aimé Jacob que nous devons d'avoir vu la chronométrie française rentrer dans la bonne voie : simplicité, sûreté des fonctions, et quitter l'écueil ou l'avait fait échouer la manie de la complication des organes. »

ll insiste sur le patriotisme du défunt. On sait l'importance qu'eut ce sentiment dans les années 1880-1890, alors que l'humiliation de la défaite subie en 1870 restait encore douloureux. Il semble que Winnerl se soit vu reprocher sa germanité. On peut se demander comment il avait vécu les années de la guerre franco-prussienne. Reçut-il des insultes, des brimades ? D'où le mérite des personnes qui surent lui conserver leur amitié en ces temps difficiles.

Saunier défend son ami d'une façon alambiquée : « Il descendait de cette grande race de slaves du Nord qui a de nombreuses affinités avec notre race... ». Or Winnerl n'est pas slave. Notons que peu de temps après, la République conclue une alliance avec la Russie. La slavophilie était dans l'air du temps.

Le journal Le Temps du 2 février 1886 relate ainsi le décès : « On annonce la mort de M. Winnerl qui fut, pendant de longues années, le modeste et savant collaborateur d'Arago (...) M. Winnerl avait porté l'horlogerie au plus haut degré de perfection ; aussi son concours avait-il été extrêmement utile aux plus illustres physiciens de notre temps (...). »

Quelque temps après son ami P. Gabriel, horloger du Ministère des Postes, de Paris, fait ériger son monument funéraire et tente de faire sa biographie.

Quelques semaines après, C. Saunier, autre horloger et ami, fait paraître dans sa Revue Chronométrique un long article nécrologique.

Terminerons-nous sur une louange sans faille ? Il ne faut pas dresser l'hagiographie de ses aïeux. Gardons l'esprit critique. Un numéro de la Revue chronométrique publia un article écrit sur Arago. L'auteur prenait partie contre Winnerl, parlait de ses conflits avec Arago et disait du mémoire Winnerl-Laugier sur les lames de suspension du pendule qu'il n'apportait rien de pratique, mais renfermait des données « curieuses ». N'ayant pas la moindre compétence en ce domaine, nous nous garderons de prendre partie dans ces débats.

Sur une autre page de ce blog, vous pouvez voir des photos d'Andrésy en 1899. 

Sources

- DURET (Ph.), J. T. Winnerl chronométrier, in ANCAHA n° 35, Automne-Hiver 1982.

- Archives Nationales, BB 11 408 : naturalisation.

- AstronomischeNachrichten, VII 1829.

- Compte rendu hebdomadaire de l'Académie des Sciences t. V 1837 p. 120 : « Le thermometographe métallique » ; t. XXV juillet-décembre 1847 : « Par le pendule cônique » ; t. IXXXII 1876 p. 834 : « Le balancier compensateur ».

- Dictionnaire de Tardy, 1971.

- Exposition universelle de 1889. Congrès International de Chronométrie. Compte rendu des travaux, p. 78 : réflexions sur le frottement, travaux de Winnerl à l'Observatoire etc.

- FERRET (E.), Les Breguet, s.d.

- GOULD (R.T.), The Marine chronometer, 1825, p. 193.

- GOURMONT (Rémy de), Vase magique, 1923.

- LEBOEUF (A.), La chrométrie pratique en France, 1924 (règlement des concours).

- LEGAL (F.), La marche et la conduite des chronomètres, 1882, extrait Revue Maritime (parle des chronomètres Winnerl)

- Recherche chronométrique, 1859.

- Revue chronométrique :

1855-1857 (t. 1. 2.) : rapport suisse sur l'Exposition 1855 etc.

1857-1859 (t. 3.4.) : mémoires de Winnerl sur les pendules de précision, sur l'échappement Duplex. 1860 : compteur de secondes et compteur garde, observation, p. 216 à 220. Pour 1864 : p. 340.

1866-1867 (6) p. 69 à 71 : échappement à force constante.

1876-1877 (9) p. 61, 142-6, 1349 : balancier compensateur.

1886-1887 : nécrologie + correspondances.

- STEPHAN, Voyage de la commission française envoyée […], Annales scientifiques de l’ENS, 1ère série, tome 7 (1870), p. 99-162. Numérisé par le programme NUMDAM.

                   

Liens internet

-L'Observatoire et ses conflits : http://www.univ-lille1.fr/bustl-grisemine/pdf/extheses/50416-1999-Decaillot-Laulagnet.pdf

-Biographie d'Arago : http://www.tourinfos.com/fr/r0011/d0066/m0006/p001795.htm

   

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Bonjour<br /> <br /> Voulez-vous une photo de l'arithmaurel (Machine à calculer inventée par Mrs Maurel et Jayet) fabriquée par Winnerl en 1854 ?<br /> Cordialement<br /> <br /> Mr Monnier<br /> www.arithmometre.org<br /> www.ami19.org
S
Vous serez peut-être amusé de lire quelques pages sur mon grand-père, Henri RODANET, petit-fils d'Hilaire RODANET, lui-même horloger et fils d'horloger, dont vous mentionnez le nom dans votre blog.<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> F S de M
Entre Rambouillet et Versailles
Publicité
Publicité